Karl Marx expliqué à ma fille

Ce dialogue est une fiction rédigée par mes soins.

Petite collation dans le living-room. Will a dû s’absenter suite à un appel impromptu, en laissant un bouquin entr’ouvert sur la table de la salle à manger, et s’engage un échange [politique] entre Camille, sa compagne et son père.


LE PÈRE : Houla ! C’est Marx ? Il rougit de plus en plus ton cher et tendre. Il vire même carrément coco là.


CAMILLE: Hmm…Tout dépend de ce que tu entends par « communiste » Papa… Te connaissant, ça ressemble au mieux à une raillerie, au pire à une vacherie.


LE PÈRE : J’ai rien contre lui, tu le sais bien… , mais le marxisme, ça a l’air joli-joli sur papier… mais dans la réalité, Karl Marx, c’est aussi 80 millions de morts. C’est tout ce que je dis…


CAMILLE: Hmm… Avant d’accuser Karl Marx de tous les maux, as-tu seulement lu une de ses œuvres ?


LE PÈRE : Non mais…


CAMILLE : Tiens, tiens… n’est-ce pas toi qui m’as toujours soutenu, qu’il ne fallait juger pas un auteur sans l’avoir au préalable lu ?


LE PERE : Oui.. mais tu sais, pas plus tard qu’hier… je lisais dans un article du Figaro les ravages du communisme. Et le communisme a été effroyable ma chérie !


CAMILLE : Je ne nie pas les innombrables morts de la période soviétique, mais là, tu essaies de fuir un peu le débat Papa… Je constate que tu n’as pas lu cet auteur, qui est par ailleurs considéré comme l’un des penseurs les plus importants du XIXe siècle. Mais je vais tout de même te répondre. Donc si je te comprends bien, pour toi,
Marx = Goulag = 80 millions de morts.
C’est bien ça ?


LE PERE: Oui, c’est peut-être caricatural, mais je pense effectivement ça… Pour moi, Le Capital, c’est comme Mein Kampf !


CAMILLE: Wow mais Ok… Je pense pour ma part que ces deux livres n’ont strictement rien à voir, mais ce serait trop long d’en débattre ici.
J’ai une question.
A quoi s’oppose donc le marxisme ou le communisme puisque tu amalgames les deux?


LE PÈRE: Euh…Je ne comprends pas bien là où tu veux en venir.


CAMILLE: Je veux dire, le communisme, c’est en réaction contre quoi ?


LE PÈRE: Ah là, je comprends mieux… Je suppose que c’est contre le capitalisme.


CAMILLE : D’accord. Ainsi, tu considères que le capitalisme n’as pas causé des millions de morts ?


LE PÈRE: Non, bien sûr que non ! Et en quoi s’il-te-plait !? Le capitalisme a au contraire permis d’améliorer la qualité de vie, le développement des pays pauvres qui en avaient bien besoin…
Non, non non, le capitalisme a plutôt sauvé des millions de vies !


CAMILLE : Tiens, que fais-tu donc du commerce triangulaire ? Du colonialisme, du néocolonialisme ?
Et puis, s’il faut en croire les historiens, la crise capitaliste de 1929 a participé à la montée en puissance du nazisme.
Et je ne parle même pas du saccage de la planète, qui menace non seulement l’espèce humaine, mais également bien d’autres espèces. Ce qui a même conduit des auteurs à forger néologisme/terme de « capitalocène » pour désigner la période actuelle.
De plus, tu pars du postulat, si j’ai bien compris, que Staline = Marx.
Donc, suivant ta logique, si Staline = Marx, ça veut dire que les pays opposés à l’URSS (bloc de l’ouest, USA) =Capitalisme.


LE PÈRE: Oui mais…


CAMILLE: Je continue. Si j’en crois les journalistes, historiens, les USA, parangons du capitalisme, c’est aussi le soutien aux coups d’état pendant la guerre froide… Je pourrais évoquer l’Iran, le Chili en 1973, l’Amérique du Sud, le soutien aux islamistes pour combattre l’armée rouge.
Je pourrais te parler de la bombe atomique car Nagasaki et Hiroshima,.
Je pourrais te parler de la crise des subprimes, des femmes et enfants qui meurent de faim tous les jours du fait des spéculations sur les denrées alimentaires et bien d’autres tragédies…


LE PÈRE : Oui et alors ?


CAMILLE: Alors ? Mais en suivant ta propre logique, le capitalisme est tout autant synonyme d’horreurs et de massacres de masse ! Je pense qu’il faudrait vraiment s’abstenir de faire ce genre de comparaisons macabres car cela n’irait pas dans ton sens. En plus, c’est malsain.


LE PÈRE : Oui, tout cela est vrai mais peut-on vraiment assimiler le capitalisme qui est un système, à des pays occidentaux qui ont des ambitions impériales ? Ce n’est pas le capitalisme qui est responsable mais les politiciens.


CAMILLE : Argument qui se tient.
Mais du coup, si je comprends bien, tu dissocies toi-même le système capitalisme, de la gouvernance des pays.
Par conséquent, et suivant ta propre logique, on peut aussi dissocier la pensée de Marx de l’action politique/politicienne Stalinienne.
C’est un peu comme si tu disais que Jésus-Christ, c’est le Mal incarné parce qu’il y a eu le massacre des cathares, les inquisitions, les femmes brûlées, les croisades etc.


LE PERE: Mmm Mouais si l’on veut…


CAMILLE: Par ailleurs, Marx n’a jamais, au grand jamais prôné la suppression de la Presse, la tyrannie etc.
C’aurait été d’ailleurs assez cocasse, puisqu’il en a subi lui-même les conséquences ! Il a d’ailleurs rédigé des écrits en appelant à la liberté de presse.
Tu savais qu’il avait été chassé de son propre pays, et de bien d’autres, pour ce qu’il écrivait ?


LE PERE: J’avoue que j’ignorais ce fait… Bon, c’est vrai que c’est pas joyeux-joyeux, mais dans ses écrits, je crois me souvenir qu’il a défendu une idée anti-démocratique et totalitaire comme la dictature ! C’est pas rien quand même !


CAMILLE: Je m’attendais à cette question. La fameuse “dictature”!
Déjà, il a défendu non pas “la dictature” comme tu l’entends, mais plutôt « la dictature du prolétariat ».


LE PÈRE: Tu chipotes là … Je sais bien que t’es littéraire mais quand même… Tu ne vas pas me faire prendre des vessies pour des lanternes !


CAMILLE : Pas du tout… Tu sais papa, Le terme dictature n’avait pas le même sens auparavant…
Dans l’antiquité romaine, elle désignait un état où un magistrat – le dictateur – se voyait confier de manière
TEMPORAIRE – j’insiste ! – et LÉGALE les pleins pouvoirs en cas de troubles graves.
Tu considères vraiment que le Général de Gaulle était un dictateur ?


LE PÈRE : Non, pas du tout, mais quel rapport ….. tu extrapoles là ma grande !


CAMILLE: Et pourtant, il fut un dictateur de ce point de vue là !
Le 2 juin 1958, de Gaulle reçoit les PLEINS POUVOIRS de l’Assemblée.


LE PÈRE: Oui… et donc ?


CAMILLE: Eh bien, tu vois bien que “dictature” est un terme polysémique. Aujourd’hui, lorsqu’on évoque le mot dictateur, on pense tout de suite à la tyrannie. Mais le terme « dictateur » n’a pas toujours eu ce sens-là.


LE PÈRE: Ok, soit… Mais dans ce cas-là, qu’entends Marx par la « dictature du prolétariat » ?


CAMILLE: Excellente question. Il faudrait d’abord savoir ce que signifie prolétariat.
Le prolétariat désigne dans la terminologie « marxiste »la classe sociale des travailleurs, qui ne possèdent pour vivre que leur force de travail.
Autrement dit, le prolétariat est donc composé des SALARIÉS et des CHÔMEURS.
Tu vois donc que comprise dans ce sens, la « dictature du prolétariat » désigne la prise de pouvoir EFFECTIVE et TEMPORAIRE des classes populaires (les classes populaires étant majoritaires dans la société).
La « dictature du prolétariat » se rapproche donc un peu de ce qu’on pourrait appeler la DÉMOCRATIE DIRECTE.

Encore une fois, il faut AUSSI tenir compte du contexte ! Lorsque Marx énonce sa théorie, la plupart des Etats européens ne sont pas des démocraties. Même la France de 1789 – qui fait figure d’exception dans le paysage – va longtemps se chercher au XIXe siècle entre des régimes que d’aucuns qualifient de « pseudo-démocratiques » (La seconde République, le suffrage universel masculin qui est de plus en plus limité tout au long de la mandature du président napoléon ) et des régimes plus « monarchiques (La restauration bourbons-orléaniste / Le second empire). Et même lors de l’établissement de la IIIe République en France, la première assemblée nationale était majoritairement composé de parlementaires « monarchistes ».

Bref, pour en revenir au propos initial, et compris dans ce sens là, on pourrait aussi voir dans cette « dictature du prolétariat » un appel/une plaidoirie pour une democratie radicale. Pour un pouvoir revenant enfin aux masses (qui produisent par ailleurs les richesses du pays), qui plus est dans une période où les travailleurs n’ont pas voix au chapitre, où ils n’ont quasiment aucun pouvoir démocratique.

Je ne suis pas en train de défendre cette idée. De manière générale, nombre de penseurs ont souligné les limites de la pensée/ou grille d’analyse Marxiste (Productivisme, un sens de l’histoire, un prolétariat messianique censée vaincre la bourgeoisie dans un combat eschatologique etc.)

Même certains penseurs anarchistes (Bakounine), partageant pourtant nombre de thèses de Marx, étaient par exemple très critiques à l’égard de certains concepts marxistes.

Toutefois, et pour en revenir au sujet, je pense juste qu’il faut critiquer Marx sur ses écrits et non sur le dévoiement/l’instrumentalisation de sa pensée par Staline et cie.

Dans tous les cas, et encore une fois, c’est ce que j’essaie de t’expliquer depuis quelques minutes…


LE PÈRE: …


CAMILLE: Quoi qu’il en soit, tu vois donc qu’on en est loin quand on observe l’Etat totalitaire stalinien, et que ce communisme là fut plutôt la dictature de la bureaucratie soviétique sur le prolétariat.
En somme, la dictature d’une minorité- couche dominante- sur la majorité.
Tiens, tiens, ce communiste totalitaire ressemble à s’y méprendre au capitalisme d’aujourd’hui.
Qu’en penses-tu Papa ?


LE PÈRE : Comment ça ?!!


CAMILLE: Eh bien les classes dominantes sont surreprésentées dans nos assemblées dites représentatives. Nos dirigeants sont issus en grande majorité de la bourgeoisie. Qui plus est, nos dirigeants travaillent – volontairement ou involontairement – pour les plus aisées et les multinationales.

Karl Marx disait d’ailleurs, déjà au XIXe siècle, dans son manifeste : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »


Bref, c’est un secret de polichinelle. Je lisais par exemple hier dans une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques que disait que c’étaient les foyers les plus aisés qui avaient le plus profité – et de loin – des mesures fiscales décidées sous le quinquennat…
Or la bourgeoisie est une classe extrêmement minoritaire dans la société…
Tu n’es pas d’accord ?


LE PÈRE: Mouais, mouais… Euh… Oui, non Euh… Euh…


Bon écoute… on en reparle après déjeuner… car…euh… ta mère nous somme de nous mettre à table.


Chérie, un coup de main ?!!!

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