Pourquoi les gens intelligents sont souvent malheureux ?

(Crédits image : Aron Wesenfeld)

« Tout le monde cherche à être heureux, même celui qui va se brûler la cervelle »

Pascal

***

Lorsque j’étais enfant, et que j’avais dû mal à juguler mes innombrables angoisses, il m’arrivait de lire la Bible.

Et lorsque je lisais la genèse – parmi d’autres points qui interpellaient ma sagacité d’enfant – je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve avaient été punis pour avoir consommé le fruit de la connaissance.

La connaissance, c’est à priori quelque chose de positif ! Nos parents ne nous motivent-ils pas tous les jours à apprendre ? à accumuler des connaissances ? Pis encore, je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve, qui n’avaient tué/fait du mal à personne – devaient endurer les pires souffrances et être malheureux pour le restant de leurs jours, ainsi que leur descendance.

***

Vous le savez, l’un des conflits opposant la philosophie et la religion concerne l’accès au bonheur.

Pour les philosophes (excepté l’ami Rousseau), du moins, pour nombre d’entre eux, l’accès au bonheur passe par la connaissance, par le culte de la raison pour accèder au vrai (Aristote avec la spéculation contemplative comme stade ultime du bonheur dans son éthique à Nicomaque, l’hédonisme raisonné des épicuriens, les stoïciens etc.). « Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait » disait l’ami John Stuart Mill.

A contrario, et sans aller jusqu’au fameux “Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux”, pour les religions, le bonheur a longtemps consisté – et consiste encore – dans le fait d’avoir la foi (entre autres, la foi pour les vérités fournies par la religion sans se poser trop de questions).

Et si, pour une fois, les religions avaient raison ? Et si la connaissance était bel et bien un cadeau empoisonné ?

***

Il y a de cela quelques années, et dans un tout autre ordre d’idées, j’avais lu dans un article rédigé par un psychologue que les gens intelligents avaient souvent tendance à être malheureux, du moins malheureux par rapport à leurs pairs. [L’intelligence pouvant être d’une grande aide quant à l’accès à la connaissance ]

A la première lecture, cela m’avait étonné. Mais en faisant quelques recherches, je m’étais effectivement rendu compte qu’un certain nombre d’études semblait bel et bien attester ce phénomène.

Ainsi, d’après une étude (1), réalisée par Norman P. Li et Satoshi Kanazawa sur un échantillon de 15 000 jeunes adultes âgés de 18 à 28 ans, et publiée dans le British Journal of Psychology, les deux chercheurs expliquaient que les personnes les plus intelligentes préféraient vivre dans des zones moins densément peuplées et avoir un moins grand nombre de relations sociales. Les deux chercheurs expliquaient par ailleurs que, si les personnes les plus sociables sont souvent les personnes les plus satisfaites et les plus épanouies dans leurs vies, ceux qui étaient dotés d’une intelligence supérieure à la moyenne avaient souvent tendance à souffrir aussi bien de la solitude, que la sociabilisation avec leurs pairs.

Et au fond, c’est vrai qu’en y réfléchissant un peu, une extrême intelligence [mais aussi la connaissance] vous éloigne malheureusement parfois des autres.

***

Vous avez certainement tous entendu parler de ce vieux conte arabe qui relate l’histoire d’un royaume qui était naguère gouverné par un roi extrêmement sage. Un jour, une sorcière empoisonna le puits d’eau du royaume, de manière à ce que ceux qui en en viendraient à boire cet eau deviennent fous. Et c’est ce qui arriva. Petit à petit, les habitants perdirent tout sens commun, devinrent fous. Tout le monde fut donc touché par le sort de la sorcière, sauf le roi qui avait bu de l’eau – et en conservé un peu de son côté – avant que la sorcière ne la contamine.

Au fur et à mesure que les jours passaient, les sujets du royaume devenaient de plus en plus vindicatifs et répandaient des rumeurs sur le fait que le roi était devenu fou et qu’il ne dirigeait plus de manière sage.

Un soir, le roi finit donc par boire de l’eau contaminée et il devint fou comme les autres. De sorte qu’il fut à nouveau considéré par ses sujets comme étant de nouveau sage et éclairé.

***

Lorsqu’on a d’immenses connaissances et/ou conscience d’un certain nombre de choses, lorsqu’on a des capacités cognitives assez poussées, cela nous éloigne ipso facto de certains de vos semblables. En effet, cette différence de niveaux de connaissances et de capacités cognitives peut parfois créer un fossé avec les pairs, un fossé qui conduira l’individu [aux immenses connaissances/aux grandes capacités cognitives] à une certaine forme d’isolement, où l’individu se sentira seul dans sa compréhension du monde, des enjeux/impératifs de ce monde etc.

A ce titre, j’aime bien l’Albatros de Baudelaire car ce poème résume assez la chose. On peut effectivement en effet appréhender les Les personnes extrêmement intelligentes/érudites comme des princes « dans les nuées » [des idées], mais qui sur terre, deviennent « infirmes » au milieu des huées de leurs semblables pour reprendre les vers du poète.

D’ailleurs, il se peut que certains d’entre vous l’aient déjà ressenti, cette sensation d’être un martien, cette sensation d’étrangeté, cette sensation d’être en décalage avec vos pairs. Avec l’irruption du fin fond de votre âme du fameux “Et si, c’était moi le problème ?”

***

Face à cela, et pour en revenir à l’article que j’avais lu, le psychologue expliquait que certains allaient jusqu’à utiliser un masque pour s’intégrer au mieux. Mais cela n’arrangeait pas la chose; bien au contraire. Ce sentiment de mal-être continuait même à grandir derechef.

L’auteur notait également que chez les personnes intelligentes, il y avait une dimension assez désagréable – et d’ailleurs bien souvent non voulue par les intéressés – qui était relative au côté “cerveau tout le temps allumé”, le cerveau qui ne s’arrête jamais, éventuellement les insomnies etc.

Ce doute et le questionnement permanent face à des décisions à prendre (un imbécile qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis comme disait Audiard); la volonté de toujours comprendre, de toujours se questionner [ce qui ne peut que occasionner de l’insatisfaction].

***

Mais même sans aller jusqu’à utiliser des exemples relatifs aux gens étant des scientifiques, des gens aux capacités cognitives étendues, etc. l’image qui me vient spontanément à l’esprit et qui me semble symboliser le fait que la connaissance n’est pas forcément synonyme de bonheur, c’est l’image de l’enfance.

Lorsqu’on était enfant, on était tous relativement insouciants (Du moins, on était plus insouciants qu’à l’âge adulte).

On était notamment insouciant parce qu’on ne savait pas tout ce qui se passait dans le monde, parce que nos parents essayaient de nous protéger des tristes vérités de ce monde (Guerre, boulot, ruptures, morts, racisme etc.), parce qu’on croyait aux contes de fées qu’on nous racontait (Le père Noël, le bien qui triomphe toujours, les copains/copines avec qui on resterait toujours copains etc.)

Bref, on était là « tranquilles, entre gosses, ignorants des choses de la vie ». Et puis, sans avoir vu le temps passer, nous sommes devenus des adultes, inquiets, soucieux, et ayant désormais connaissance de la réalité et de ses innombrables contraintes et tragédies.

***

De ce point de vue là, l’allégorie d’Adam et Eve condamnés à être malheureux [pour avoir mangé le fruit de la connaissance] peut se comprendre.

Quand en effet, face aux mystères du Cosmos et de la nature, face aux innombrables tragédies de ce monde, face à la complexité de la nature humaine, des relations sociales, votre ignorance/inquiétude peut être comblée par l’invocation de Dieu, de la destinée, du dessein intelligent, c’est sans doute plus aisée de vivre sa vie.

La vie d’un homme serait en effet intolérable, nous dit Anatole France, « s‘il savait ce qui doit lui arriver. Il découvrirait des maux futurs, dont il souffrirait par avance, et il ne jouirait plus des biens présents, dont il verrait la fin. L’ignorance est la condition nécessaire du bonheur des hommes, et il faut reconnaître que, le plus souvent, ils la remplissent bien. Nous ignorons de nous presque tout ; d’autrui, tout. L’ignorance fait notre tranquillité ; le mensonge, notre félicité. »

***

Peut-être est-ce là une autre vérité contenue dans les spiritualités et religions d’autrefois. Peut-être est-ce là la signification profonde l’allégorie d’Adam et Eve, du mythe de Pandore (qui mena l’humanité à sa perte du fait de sa curiosité)…Après tout, le sage ne dit-il pas : “ La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre »

Wilfried M.

2 commentaires sur “Pourquoi les gens intelligents sont souvent malheureux ?

Ajouter un commentaire

  1. Bonjour,
    Votre réflexion me semble assez analytique et solide. Cependant pour ce qui est de la religion, vous partez du postulat que Dieu existe….Ce qui n’est pas démontré.
    Merci pour avoir mis sur la table les questions qu’on se pose parfois, sans bien les comprendre…
    Bonne journée

    J’aime

  2. Le livre de Jordi Quoidbach, chercheur à Harvard et prof dans le cours le plus suivi sur le bonheur, s’appuie sur une étude de 70 ans dur le Bonheur. Il serait intéressant d’en tenir compte.

    J’aime

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer