Notre époque manque-t-elle de courage ?

NOTRE EPOQUE MANQUE-T-ELLE DE COURAGE ?

À première vue, cette question pourrait sembler dénuée de sens. Après tout, il n’y jamais eu autant de films, et de livres mettant en scène des héros intrépides et des histoires de bravoure. Les récits de personnes affrontant des épreuves insurmontables au péril de leur propre vie abondent dans notre culture populaire, ainsi que les documentaires dédiés à nos héros et héroïnes du quotidien (Enseignants/enseignantes, membres du personnel médical, éboueurs, pompiers etc.)

En somme, les exemples de « courage », ou du moins les représentations médiatiques de ce phénomène sont pléthores. Et je ne parle même pas de l’instrumentalisation du terme courage dans le champ politico-mediatique (Dans le milieu journalistique, on dira ainsi d’un politicien qu’il est « courageux » parce qu’il a imposé toute une série de réformes impopulaires ou réduit drastiquement des prestations sociales des plus défavorisé.e.s. )

Le courage est donc utilisé à toutes les sauces. Mais sommes-nous réellement en face du vrai courage ? Ne devrions-nous pas établir une distinction entre la représentation du courage (du point de vue de la doxa, de l’espace médiatique etc.) et sa définition (ou son essence)?

En somme, qu’entend-on vraiment par courage ?

C’est à ces différentes interrogations que je m’efforcerai de répondre, ma thèse ou mon intuition étant que notre époque se caractérise malheureusement par ce que d’aucuns ont nommé le déclin du courage.

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D’un point de vue définitionnel ou conceptuel, le courage est une notion qui a souvent été l’objet d’un certain nombre de débats et de réflexions philosophiques.

Considéré par Platon comme l’une des quatre vertus cardinales que doivent surtout posséder les gardiens de sa cité idéale, le courage est défini par Aristote comme une excellence, à mi-chemin entre la lâcheté et la témérité, dont la pratique s’acquiert par l’habitude et dépend du contexte de l’action.

Pour Descartes, qui fut soldat, ce n’est pas une vertu mais une passion, « qui dispose l’âme à se porter puissamment à l’exécution des choses qu’elle veut faire » indépendamment de la considération du Bien.

Foucault, quant à lui, associe le courage à la franchise de dire la vérité, ou parrhésia.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne semble donc pas exister une définition consensuelle du “courage”.

Toutefois, malgré ces divergences, une perspective commune émerge : le courage reposerait sur l’intériorité de l’individu. Étymologiquement, le mot courage trouve effectivement ses racines dans le latin « cor, » signifiant « cœur, » évoquant ainsi une force d’âme, la capacité à surmonter peurs et angoisses pour vivre en harmonie avec ses convictions. Fondamentalement, le courage se manifesterait donc dans la concordance entre les actes et les principes personnels.

Ainsi, le courage se distinguerait nettement de la témérité et de l’héroïsme ; la témérité consistant à agir de manière insouciante, à se mettre en danger sans penser aux conséquences encourues (typiquement la tête brûlée qui fonce sans réfléchir face au danger), tandis que l’héroïsme engloberait des dimensions plutôt liées à la renommée et à l’opinion extérieure.

En somme, il ne saurait y avoir de courage sans conscience, le courage étant lié à la conscience de soi et ne pouvant être mesuré en comparaison avec autrui .

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Et c’est là où précisément le bât blesse actuellement… Car au vu de cette définition ou de cette approche du courage, lorsqu’on appréhende l’état actuel de notre société, le moins qu’on puisse dire c’est que de nombreux signes semblent indiquer un déclin du courage, ce déclin du courage se manifestant par un profond désenchantement généralisé, avec des individus de plus en plus réduit à l’inaction et à la résignation

Cynthia Fleury, philosophe, a récemment exploré cette problématique dans son ouvrage « Reconquérir le courage. »

En effet, cette dernière étant également psy, a constaté l’émergence d’un nouveau type de patients : des individus mentalement pourtant sains se percevant comme des « malades. »

Ce phénomène – d’individus sains se percevant comme des malades – découlerait des pressions et injonctions contradictoires imposées par le monde du travail moderne, caractérisé par des attentes démesurées et des tâches absurdes, qui plus est à l’heure du péril écologique (Les individus se sentent de plus en plus contraints de se conformer à une norme de réussite socio-professionnelle – du style posséder sa propre maison à 30 ans, avec chien, deux enfants, et s’inscrire dans la société de consommation, entre autres – sous peine d’être exclus ou montrés du doigt, ce qui les décourage d’agir en accord avec leurs principes.)

Bref, le monde à l’envers en somme ! Un monde où les individus en quête de sens sont perçus comme étant malades

“Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société profondément malade.” disait pourtant le penseur indien Jiddu Krihsnamurti

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.Un autre signe du déclin du courage – si par courage on entend bien évidemment le fait de dire et d’agir conformément aux principes personnels – me semble être l’utilisation répandue de l’anonymat/pseudonymat sur les réseaux sociaux pour exprimer des opinions, même les plus anodines.

Les individus hésitent de plus en plus à exprimer leurs pensées sincères par crainte de réactions négatives de leur entourage.

Les réseaux sociaux étaient censés nous offrir cette fameuse “liberté de ton” – l’une des conditions minimales quant à l’émergence du courage selon les anciens. Mais voilà, cela n’a pas été le cas, ou du moins en partie. Aujourd’hui, lorsqu’on explore les réseaux sociaux, en matière d’opinion (!) les profils personnels relaient davantage des messages et discours consensuels plutôt que des opinions controversées (qui pourraient potentiellement susciter potentiellement des controverses, du conflit, etc.)

Et cela se comprend aisément. Sur nos réseaux, il y a nos amis, nos proches, notre famille, nos collègues et même nos employeurs etc (D’où le recours massif donc au pseudonymat et à l’anonymat pour dire réellement ce qu’on pense)

Mais n’est-ce pas là précisément l’un des signes du déclin ou d’un manque de courage, car l’on n’ose pas dire et agir en accord avec ses principes par peur de choquer l’entourage ? Et d’ailleurs, cela en dit beaucoup sur nos liens sociaux. Parce qu’en définitive, si je ne puis dire ce que je pense réellement à un ami, ou à un membre de ma famille ? Est-ce vraiment un ami ? Si des liens de famille peuvent se distendre facilement du fait d’opinions différentes, est-ce à dire que ces liens familiaux étaient en définitive, somme toute, artificiels ?

D’ailleurs ce manque de courage suscite paradoxalement une lâcheté parfois révoltante, choquante. En effet, beaucoup de gens n’oseront pas réellement dire ce qu’ils/elles pensent de tel sujet ou de tel individu dans la vraie vie, mais lorsqu’ils seront à l’abri du regard, derrière leur clavier (sous anonymat), feront parfois preuve de la pire des lâchetés en osant dire les pires choses.

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Dans le passé, quels que soient nos avis sur les idéologies de l’époque, il existait des espaces parrhésiastiques qui contribuaient à renforcer le courage des individus. Ces espaces encourageaient les gens à agir en accord avec leurs principes, même si cela devait entraîner des conséquences négatives.

Les idéologies révolutionnaires, les mouvements religieux et les grandes causes telles que l’anticolonialisme étaient autant d’exemples de ces espaces.

(Il est important de rappeler que la parrhésia est un concept grec qui signifie « franchise », « liberté de parole » ou « courage de dire la vérité. » Elle consiste en la capacité de s’exprimer librement et ouvertement, même si cela peut entraîner des répercussions négatives pour soi-même.)

Cependant, avec la fin des « utopies », la disparition des partis politiques de masse et le désenchantement du monde, la société moderne semble avoir affaibli le courage. Les impératifs de productivité et de performance, le conformisme et les contraintes ont affaibli considérablement le courage.

Même dans nos démocraties modernes, le plus haut geste démocratique consiste désormais à mettre un bulletin dans une urne, caché et à l’abri de tous les regards, dans un isoloir, pour nous exprimer/délibérer.

Pire encore. L’individualisme (qui autrefois était une belle conquête) , semble paradoxalément avoir sapé le courage. En effet, bien que la dimension personnelle du courage soit essentielle, il est souvent renforcé lorsque l’individu est entouré de proches et encouragé par les autres.

On le sait tous. Le soutien et les encouragements des proches peuvent être cruciaux pour susciter ce courage qui nous manque, que ce soit pour surmonter une dépendance, prendre une décision professionnelle difficile en accord avec ses convictions, ou sortir d’une relation abusive, maltraitante. Cependant, la société actuelle, en grande partie façonnée par le modèle capitaliste, a rompu de nombreuses solidarités traditionnelles, transformant nos relations personnelles en transactions impersonnelles.

Même le voyage, qui était autrefois une opportunité de rencontres avec autrui, est devenu un acte largement individualiste et transactionnel, où les interactions significatives avec les habitants, les guides et d’autres voyageurs sont devenues rares, laissant place à des expériences axées sur la satisfaction personnelle, au détriment des relations humaines authentiques (au delà du coût, le recours massif aux plateformes telles que Airbnb et au tourisme de masse symbolisent cette évolution)

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Bref tout cela pour dire qu’au vu de tout ce qui a été énuméré plus haut et des tendances actuelles du monde contemporain, la renaissance du courage ne se fera pas de sitôt.

Ce qui me semble fort dommage car je pense très sincèrement qu’en favorisant et en réinstaurant un supplément de courage dans nos existence, un supplément d’authenticité et de conviction, eh bien, cela pourrait grandement nous aider à mieux nous comprendre, et à affronter les maux actuels ainsi que les grands défis auxquels nous allons être confrontés dans un proche avenir.

Wilfried M

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(Source image : Il s’agit d’une photo d’August Landmesser, qui était un ouvrier allemand. Il est notamment connu pour son apparition sur une photographie où il refuse d’effectuer le salut nazi lors du lancement d’un navire-école, le Horst Wessel, le 13 juin 1936)

2 commentaires sur “Notre époque manque-t-elle de courage ?

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  1. Beau travail de réflexion sur une
    « qualité » qui peut attirer mais qui fait peur, peur d’être stigmatisé, rejeté…ne plus être aimé ! Ouh là 🙂 Merci pour le partage de vos écrits, que j’apprécie toujours de lire.

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