Des “non-binaire”, “queer”, “drag-queen”, “cis-genre” à la« théorie du genre »: Quelques réflexions sur la question épineuse du Genre 

Si vous avez déjà entendu parler des termes « non-binaire », « queer », « drag-queen », « cis-genre », “théorie du genre ou théories du-des genres”, vous avez touché du doigt les concepts/notions qui font l’objet d’une vive polarisation dans le débat public et sur les réseaux sociaux depuis quelques années.

La question du genre est en effet devenue centrale dans notre société, suscitant passion, débats et parfois confusion.

Le genre, une construction sociale ou un destin/fatalité biologique ?

L’une des philosophes ayant le plus réfléchi sur le sujet se nomme Judith Butler. La philosophe américaine a en effet révolutionné notre compréhension du genre en introduisant, entre autres, le concept de performativité du genre. (En réalité, l’ouvrage de Butler est très riche mais aujourd’hui, pour des raisons didactiques, je ne vais évoquer que le concept de la “performativité du genre”)

Son ouvrage « Le trouble dans le genre » a d’ailleurs marqué un tournant dans la pensée féministe et queer.

Dans ce livre, Judith Butler remet en question les idées préconçues sur le genre/sexe, en soutenant que le genre n’est pas une essence naturelle ou innée, mais plutôt une “performance”, une série d’actes répétés qui créent, consolident et maintiennent notre identité de genre.

Imaginez que le monde dans lequel on vit soit une gigantesque pièce de théâtre.

Chaque jour, nous jouons/répétons un rôle en adoptant des comportements, des manières de parler, de nous habiller etc. qui vont être associés à tel genre ou tel autre genre.

Par exemple, très tôt, on inculque aux garçons de se tenir d’une certaine manière, de ne pas pleurer. On différencie les vêtements donnés aux nourrissons.

On encourage les garçons à jouer à certains types de jeux comme la bagarre, la voiture, le policier ou cowboy, à adopter certains comportements, à avoir une coupe de cheveux masculine, etc.

À l’inverse, on encourage les filles à être douces, à porter des robes, à jouer avec des poupées, des talons, à jouer les rôles de maman, maîtresse, à avoir des cheveux longs, etc.

Pourtant, on le sait, aucun enfant ne naît avec un chiffon ou un tablier, des gants de boxe ou des voitures.

Il y a donc une construction sociale dans le genre.

Par “performativité du genre”, il faut entendre deux acceptions :

→ Le terme performatif – qui renvoie dans le domaine linguistique – à l’énoncé qui réussit à accomplir quelque chose du fait même qu’il est énoncé (Ainsi quand le maire dit “je vous déclare mari et femme”, l’énoncé est performatif)

Les discours/énoncés ont donc une incidence concrète dans la création/consolidation des identités de genre.

→ La notion de “performance” [théâtrale, répétitions, rôle, etc.]

I) La performance

A ce propos, je vous livre une anecdote personnelle qui pourrait illustrer cette ce phénomène de “performance”.

Il y a de cela quelques années, alors que je me préparais à rencontrer pour la première fois le grand-père de mon ex-compagne, j’avais reçu des conseils de cette dernière pour “bien passer” auprès de lui et des autres membres “masculins” de la famille : parler avec une voix forte, ne pas hésiter à “serrer la main de manière franche” et, tandis que les femmes (mon ex-compagne et sa grand-mère) étaient à la cuisine, proposer mon aide pour la mécanique (réparer/donner une deuxième vie à la vieille Mercedes traînant dans le coin depuis quelques lustres) et de manière générale le bricolage.

Je voulais bien passer auprès de la belle-famille. J’avais donc tellement bien “joué”/, “performé” le bonhomme que l’honneur fut finalement sauf ! Opération que je dû renouveler/”répéter” à certains repas/réunions de famille.

Cette expérience m’avait assez marqué (et fait également sourire), et avec le recul, je trouve ça fou à quel point, très tôt, les individus sont amenés à jouer/répéter (“à performer”) certains rôles propres à des genres auxquels ils ont été assignés, et comment le fait de jouer/performer va également entériner les identités de genre (L’important dans cette affaire étant la répétition : plus on va répéter ces actions, plus elles vont devenir naturelles, ancrées et intériorisées par les individus. C’est ainsi que le genre se construit et se solidifie.)

II) Le discours “performatif”

Pis encore. Et c’est en cela que la thèse de Butler est très radicale (“radicale dans les deux sens du terme”);et que d’aucuns pourraient y voir là une espèce de constructivisme radical. Le genre/Le discours sur le genre va également créer le sexe “biologique”, le catégoriser.

La façon dont L’intersexuation est perçu dans la société illustre là encore à merveille ce phénomène.

L’intersexuation, c’est ce que d’aucuns nommaient naguère – et nomment encore – l’hermaphrodisme ( le terme est encore utilisé dans le langage courant mais ne fait plus consensus au sein de la communauté scientifique).

[Pour rappel, dans la mythologie grecque, Hermaphrodite était un personnage de la mythologie grecque pourvu des organes sexuels à la fois mâles et femelles.

Le terme étant entré dans le langage courant, par extension, il fait

aujourd’hui référence à un phénomène biologique dans lequel l’individu présente à la fois des organes mâles et femelles, soit simultanément soit alternativement. De manière générale, dans l’espèce humaine l’intersexuation représenterait jusqu’à 2 % des naissances.]

Pour en revenir au coeur du sujet, à savoir comment Le genre/Le discours sur le genre va également créer/catégoriser le sexe “biologique”, lorsqu’un enfant naîtra par exemple avec des attributs masculins, il sera classé comme un “Homme/garçon” par ses parents, une instance médicale etc (“C’est un garçon disait-on naguère).

Et à partir du moment où ce discours sera énoncé, du fait même que le propos sera énoncé (dimension performative du langage), ce sera un garçon, élevé comme tel, habillé comme tel, sociabilisé à la “répétition” de comportement assignés à la masculinité, et intériorisant le fait d’être un garçon/homme.

Idem pour un enfant naissant par exemple avec des attributs féminins, et qui sera classé comme tel.

A la limite, on pourrait se dire qu’il y a là quelque chose de logique. Attributs génitaux masculins = garçons/homme. Attributs génitaux féminins = fille/femme.

Sauf que, quid du phénomène de l’intersexuation ?

Et c’est là où, on peut voir que le discours sur le genre/genre va aussi “créer” du sexe.

Car à la naissance, conformément à la conception bi-categorielle de la société (homme/femme) , des décisions vont être prises (par une instance médicale, par les parents etc.) pour ajuster les caractéristiques de l’enfant, souvent sous forme de chirurgie, et le classer “biologiquement/à l’état civil” dans la case femme ou la case homme.

Mais pourquoi un tel classement ? Ces individus doivent-ils nécessairement être classés – de manière binaire – dans la dans la case “homme” ou case “femme” ?

[Rappelons au passage que lorsque ces pratiques chirurgicales sont réalisées, il n’y a nul consentement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces pratiques chirurgicales sont d’ailleurs parfois critiquées comme des mutilations par les militants des droits intersexes.]

***

De manière génèrale, vous l’aurez compris, Butler soutient donc que genre et sexe résultent tous deux d’une construction sociale qui passe par un ensemble de gestes, de signes et de discours, bref par une « stylisation répétée des corps » où chacune et chacun trouve « l’illusion » d’un soi durable et « genré ».

Raison d’ailleurs pour laquelle l’ouvrage a suscité un vaste débat au sein des mouvements féministes. Car contrairement à Simone de Beauvoir, et de manière générale, au féminisme traditionnel, qui articulait sa lutte et nombre de revendications autour de la catégorie/et du sujet politique “Femme”, Butler récuse au contraire la catégorie “femme” au profit d’identités sexuelles et genrees multiples, et contestant au passage le fait que la sexualité soit également perçu dans la société de manière binaire (homosexualité et hétérosexualité).

De même qu’il existerait une fluidité de genre, une multitude d’identités sexuelles et genrees, Il existerait également une multitude d’orientations sexuelles entre l’hétérosexualité et l’homosexualité.

. ***

En résumé, et si je devais conclure, et vu que le sujet est explosif et assez dense, il me semble utile de préciser que je n’adhère pas à nombre de thèses de cette philosophe; et que par ailleurs, cet article n’a pas été rédigé dans une visée prosélyte.

Il s’agit plutôt d’un article à visée didactique, visant à permettre un accès simplifié à la pensée d’une autrice dont les écrits sont réputés difficiles d’accès et qui convoquent d’ailleurs plusieurs disciplines et auteurs (Psychanalyse, psychologie, philosophie, littérature/ Simone de Beauvoir, Foucault, Rivière, Wittig, Freud, Lacan etc)

Par ailleurs, je pense que même sans adhérer à la totalité des thèses défendues par Judith Butler, on peut tout de même retenir que le genre n’est pas un script figé !

Le genre ne se déploie pas de manière binaire. Il n’y a pas une masculinité, ni une féminité. Il y a des masculinités et des féminités. Un garçon peut porter une robe et du maquillage(après tout Louis XIV qui portait des talons, des perruques et était maquillé etait vu comme un modèle de masculinité), une fille peut avoir les cheveux courts et jouer au football.

Et puis, on peut observer qu’il existe toute une série de personnes qui jouent/naviguent entre les genres, de manière volontaire ou à leur insu (le cas des personnes androgyne pour exemple, ce qui crée un certain “trouble” dans leur identification de genre), qui refusent de se conformer aux attentes de la société en matière de genre.

Et en soi, rien que parce que les attentes/assignations genrées génèrent beaucoup de souffrances physiques et psychiques auprès de certains individus, je pense que la pensée de l’autrice a ceci d’utile qu’elle nous offre une perspective radicale et nécessaire pour repenser les structures de genre et œuvrer vers une société plus inclusive et respectueuse de la diversité humaine.

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